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Pudiques richesses


Entre pacte de famille, fidéicommis et contribution de l’État, la Cour grand-ducale entretient savamment le flou dès qu’il est question d’argent et de patrimoine.


Les dorures des palais, le faste des résidences, le prestige des tenues d’apparat, l’élégance naturelle de la noblesse… Toute monarchie, quelle qu’elle soit, est toujours accompagnée, aux yeux de celui qui la regarde depuis le bord de la route, d’un cortège de fantasmes tiré par des chevaux d’illusion. La Maison grand-ducale est-elle riche ? Probablement bien plus que la moyenne de ses sujets, même si, évidemment, la composition exacte et, accessoirement, la valeur de son patrimoine ne figurent pas au rang des communications publiques.


Impossible, par exemple, de savoir combien de personnes sont réellement employées à la Cour grand-ducale. «Il est même assez complexe de l’établir précisément, puisque si la grande majorité des employés dépend directement de la Cour, une partie est détachée de certains ministères, témoigne un ‘ancien’ de la Maison. L’équipe est assez compacte, mais travaille beaucoup.»


Et puis sans doute cette richesse est-elle toute relative, comme en témoignent certains événements de ces dernières années. Outre le fait que le patrimoine mobilier de la Cour a dû souffrir de l’effondrement récent des marchés boursiers, on se rappelle qu’en 2006, les enfants de la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte avaient décidé de procéder à la vente publique de quelque 150 bijoux lui ayant appartenu. Cela avait suscité un émoi très intense dans le pays, même si ces bijoux appartenaient à la sphère privée de la famille et n’étaient pas liés à la Couronne en tant que telle. Le Grand-Duc Henri, en sa qualité de chef de famille, avait alors reconnu à l’époque avoir sous-estimé la forte valeur symbolique attachée à ces biens et convaincu ses frères et sœurs de faire machine arrière.


Pacte de famille


De même, la vente de parcelles de terrain du domaine de Grünewald en 2006 puis de Colmar-Berg en 2008 (une parcelle de 385 ha pour quelque 6,1 millions d’euros) tendrait à confirmer un certain besoin financier récurrent…


Et encore la situation s’est-elle améliorée par rapport au début des années 1970, lorsque la situation financière de la Cour avait incité à la création d’un conseil de gestion des biens familiaux. Y siégeaient, entre autres, les présidents des grandes banques de la Place qui avaient su surfer sur la vague des Trente Glorieuses pour remettre la fortune grand-ducale à flots.


Pour permettre au patrimoine de rester rattaché à la Couronne de manière indivisible, les têtes couronnées ont donc introduit un «Fürstenrecht» (un droit des princes), conférant aux têtes couronnées une autonomie vis-à-vis du droit civil. C’est le fameux « pacte de famille », définissant les règles de succession au sein de la « Maison » Nassau, établi le 30 juin 1783.


Le traité de Vienne de 1815 confia à la branche Orange-Nassau les «clés» du grand-duché. Mais lorsque le Roi-Grand-Duc Guillaume III décéda le 23 novembre 1890, il n’avait, après lui, que sa fille (la Reine Wilhelmine des Pays-Bas) pour lui succéder. Conformément au pacte, la couronne du grand-duché fut alors transmise à la branche «restante» de la maison Nassau : celle des Weilbourg, dont le premier représentant fut le Grand-Duc Adolphe.


Et le patrimoine à proprement parler ? Il est géré au sein d’une structure baptisée fidéicommis (signifiant en latin «laissé entre des mains fidèles»), qui s’apparente à une fondation ou à un trust anglo-saxon. Le grand-duc n’en est pas le propriétaire, mais seulement l’usufruitier, ce qui doit lui permettre de vivre ainsi que tous les membres de la famille dépendant de lui. Et ce fidéicommis ne concerne pas les biens qui sont la possession personnelle de l’un ou l’autre membre de la famille grand-ducale (comme les bijoux de Charlotte…). L’actuel fidéicommis de la famille grand-ducale a été établi, sous les Nassau-Weilbourg, par Adolphe (qui n’était alors «que» duc) par un statut de famille datant du 18 avril 1868.


Seule une partie de cet acte de 1868 a été annexée aux débats parlementaires de 1907 qui ont abouti à la loi du 10 juillet, laquelle conféra force de loi au statut de famille de la Maison de Nassau de l’époque. Mais il n’apparaît pas dans la loi du 16 mai 1891 concernant la fortune privée de la Maison grand-ducale de Luxembourg, et qui est toujours en vigueur. Le texte se contente de mentionner que «les biens mobiliers et immobiliers composant la fortune privée de la Maison grand-ducale de Luxembourg et situés dans le pays sont régis par les pactes de famille de Nassau et les dispositions prises ou à prendre en vertu de ces statuts».


On notera d’ailleurs qu’il est fait mention «des pactes de famille» et non plus du seul texte du 30 juin 1783. Et on remarquera aussi que le texte n’évoque pas les biens situés hors du pays, comme «La Tour sarrasine», la résidence que possède la famille à Cabasson (dans le département français du Var) depuis 1949, ou encore un domaine en Bavière, qui sont pourtant bel et bien intégrés dans le fidéicommis, au même titre que les quelque 1.000 hectares du domaine forestier de Grünewald.


Bien évidemment, le fonctionnement financier de la Cour grand-ducale ne se limite pas au fidéicommis. L’État luxembourgeois prend également soin de ses monarques. Et le budget qui leur est accordé est, lui, public. Il s’élevait, pour l’exercice 2011, à un montant de 8, 7 millions d’euros, soit un peu plus de 17 euros par citoyen. C’est, de loin, la charge la plus lourde comparée aux autres maisons royales européennes (voir graphique). Une donnée à relativiser compte tenu, non seulement, de la petite taille du pays, mais aussi des fonctionnements particuliers des autres maisons couronnées où sont souvent détachés bon nombre de fonctionnaires, voire de militaires, dont les charges entrent dans les budgets de leurs administrations de tutelle.


17 euros par citoyen et par an


Ce budget est à considérer non pas comme une subvention étatique et encore moins comme une rémunération, mais plutôt comme une prise en charge des dépenses de la Cour grand-ducale pour le Grand-Duc Henri dans sa fonction de chef de l’État.


Dans ces 8,7 millions d’euros figure, en première ligne, la «liste civile», inscrite dans l’article 43 de la Constitution. «Elle peut être changée par la loi au commencement de chaque règne. La loi budgétaire peut allouer chaque année à la Maison souveraine les sommes nécessaires pour couvrir les frais de représentation», y est-il inscrit.


Initialement fixée à 200.000 francs, cette liste civile a été portée à 300.000 francs or par an par la révision de la Constitution de 1948. Le taux de change entre le franc or et l’euro étant flottant, cette somme a varié assez fortement, passant de 0,86 million d’euro en 2001 à 1,08 million en 2011, soit environ 25 % de hausse.


C’est, toutefois, loin d’être le poste budgétaire le plus important alloué à la Maison grand-ducale. Un «privilège» détenu par les «frais de personnel attaché à la fonction de chef de l’État», qui représentaient, en 2011, 4,6 millions d’euros (contre 4,3 millions en 2001, soit à peine 5 % de hausse). Les «frais de personnel attaché à la fonction d’ancien chef de l’État», eux, sont également conséquents (1,36 million en 2011). Mais ils sont plus récents, n’ayant été introduits dans le budget de l’État qu’en 2002.


Autres lignes budgétaires : les frais de représentation du chef de l’État (645.379 euros en 2011) et du Grand-Duc Jean (227.647 euros) qui, en la circonstance, n’est pas mentionné en tant qu’ancien chef de l’État. Il s’agit, typiquement, des montants alloués dans le cadre de toutes leurs dépenses: les réceptions officielles, bien sûr, mais aussi les cadeaux offerts aux dignitaires étrangers, les gerbes de fleurs, les tenues officielles…


Le seul poste figurant au budget de la Maison du grand-duc et qui a trait directement à une rémunération en tant que telle est celui relatif au «traitement des fonctionnaires» (159.187 euros en 2011). Cela concerne, principalement, la fonction de secrétaire du grand-duc, qui émarge au grade 18 – le plus élevé de la hiérarchie étatique des carrières dites «normales» – et dont le salaire s’échelonne entre 7.446,45 euros bruts en début de carrière (échelon 1) et 10.588, 68 euros bruts en fin de carrière (échelon 11). Dans les faits, cette fonction est occupée par Pierre Mores, le Maréchal de la Cour, en fonction depuis le 1er octobre 2007.


Enfin, une dernière ligne est reprise dans le budget: «frais de fonctionnement et dépenses courantes» (686.800 euros en 2011). Elle fut introduite en 2003, dans un souci d’une plus grande transparence, en reprenant un certain nombre de dépenses de la Maison grand-ducale qui figuraient dans d’autres catégories précédemment. C’est en partie là où réside la complexité des calculs, pour faire la part entre les dépenses privées et celles, publiques, engagées par le monarque en sa qualité de chef d’État. Cette répartition fait l’objet d’un modus vivendi entre l’État et la Cour.


Cela est plus particulièrement vrai dans le cadre du fonctionnement quotidien du Palais grand-ducal et du Château de Berg, lieux de travail et de résidence de la famille grand-ducale, qui sont deux bâtiments publics appartenant à l’État, contrairement au Château de Fischbach, où réside l’ancien Grand-Duc Jean.



(Article publié dans Paperjam.)

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