À quoi sert un Grand-Duc ? Volontairement provocatrice, voire brutale, la question illustre à elle seule un sacré paradoxe.
Celui né de la cohabitation, dans un État démocratique, libre, indépendant et indivisible (article 1er de la Constitution), entre un pouvoir législatif entre les mains de députés élus par les citoyens et un pouvoir exécutif soumis à la contre-signature d’un chef de l’État héritier d’un «trône» confié par le traité de Vienne du 9 juin 1815.
Ainsi fonctionne le régime de monarchie constitutionnelle qui est celui du Luxembourg, le seul et unique grand-duché existant encore dans le monde. Indispensable lien entre tradition et modernité pour les uns, inutile marionnette surannée et dispendieuse pour les autres, le Grand-Duc fait toujours débat, et pas uniquement sur les bancs de la Chambre des députés.
La crise institutionnelle provoquée en 2008 par le refus d’Henri de sanctionner la loi sur l’euthanasie, pourtant votée par le parlement, marqua évidemment un tournant dans l’Histoire de la Maison grand-ducale. Elle enclencha, en tous les cas, un processus de révision constitutionnelle toujours en cours et qui pourrait bien finir par ranger le monarque quasiment au rang de simple icône décorative.
Même la population luxembourgeoise a semblé faire part, fin 2008, d’un certain détachement de «son» Grand-Duc. Dans un sondage réalisé par TNS Ilres pour le compte du Jeudi, plus d’un tiers des personnes interrogées plaidaient pour une abolition pure et simple de la monarchie. On est évidemment très loin des presque 80 % de « oui » obtenus en septembre 1919 lors du référendum sur le maintien de la monarchie. On est aussi très loin du plébiscite affiché lors d’un autre sondage réalisé en 2001 pour le compte du même hebdomadaire, un an après l’avènement du Grand-Duc Henri.
En dépit de cet apparent désamour grandissant – qu’il convient néanmoins de relativiser, comme tout sondage qui se respecte – on a du mal à imaginer le Luxembourg sans tête couronnée. Sans doute la profonde empreinte de près de 200 ans de tradition – depuis que Guillaume 1er d’Orange-Nassau s’est vu attribuer les rênes d’un pays créé par les grandes puissances alors réunies à Vienne – ne s’efface-t-elle pas d’une simple signature apposée (ou pas) en bas d’un texte de loi. «Le Grand-Duc a peut-être perdu une partie de son utilité, mais il sert toujours, un peu comme une assurance incendie pour le pays. S’il devait arriver au Luxembourg une crise semblable à celle de la Belgique, il aurait certainement le même rôle décisif que celui du roi Albert II», nous a assuré un très proche de la Cour.
Dans le même temps, plusieurs interlocuteurs rencontrés, de manière formelle ou non dans le cadre de la rédaction de cette coverstory, ont ardemment souhaité qu’un tel dossier publié sur la monarchie au Luxembourg ne soit pas trop «sévère» et n’écorne pas trop son image.
Tout est là, ou presque. Quand bien même la légitimité d’un Grand-Duc dans un régime parlementaire démocratique peut – et doit – faire débat, l’aura et le prestige liés à la fonction en font un élément central de la vie politique et sociale du pays et un intouchable.
Aussi la question liminaire ne devrait-elle pas plutôt se demander à quoi ressemblerait un Luxembourg sans Grand-Duc ? Sans doute l’un des plus petits pays de l’Union européenne y perdrait bien plus que deux simples mots accrochés à son patronyme.
(Article publié dans Paperjam)
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