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Chronique d'un désastre annoncé


La disparition de T.TV du paysage audiovisuel luxembourgeois scelle une histoire de cinq années, où idées innovantes et développements technologiques se sont heurtés à des conflits humains et des impératifs financiers impitoyables.


Le vendredi 16 mars 2007, c'est un peu d'espace de liberté qui a disparu avec la fin des programmes de T.TV, cinq ans, un mois et deux semaines après le lancement de sa devancière, Tango TV. Plombée par 18 millions d'euros de pertes cumulées, la chaîne a perdu le soutien financier de sa maison mère, le groupe suédois Tele2. «La décision de cesser les activités de T.TV s'inscrit dans le cadre des décisions du groupe de se focaliser sur son core business, nous a confirmé Francesco D'Angelo, group tax manager Tele2 à Luxembourg. «La télévision a payé les pots cassés de la stratégie financière du groupe et rien d'autre», complète, pour sa part, Yves Gordet, le dernier CEO de T.TV.


Arrêt sur images... et rembobinage de la bande pour dérouler un film dont la morosité de sa funeste issue n'a eu d'égale que l'enthousiaste insouciance de ses premières heures.


Stenbeck, le visionnaire sans héritier


«Tu ne changes rien au décor. Nous ferons notre télévision ici». Nous sommes à l'automne 1997. Millicon Luxembourg, filiale du groupe suédois Kinnevik, vient de décrocher la deuxième licence de téléphonie mobile GSM mise en jeu au Luxembourg. Son dirigeant fondateur, Jan Stenbeck, visite, en compagnie de Jean-Claude Bintz, alors responsable des activités de Tele2 au Luxembourg, les anciens locaux de RTL à Bertrange, sur lesquels une option avait été prise en cas d'obtention de cette licence.


Dans le cerveau de cet entrepreneur scandinave hors pair (on le trouve à l'origine du quotidien gratuit Metro ou de Vodafone, mais aussi de SES, dont il fut un des premiers principaux actionnaires privés), une idée fixe: créer une chaîne de télévision dont le financement serait majoritairement assuré par l'interactivité avec ses téléspectateurs (SMS, chat...), via le principe de convergence TV/Téléphone/Multimédia, en s'appuyant sur le réseau GSM Tango à peine créé et qui fut opérationnel à partir du 25 mai 1998.


Pour élaborer le concept de base, Jan Stenbeck, Jean-Claude Bintz et son bras droit Pascal Koster font appel à Edy Geiben, producteur luxembourgeois de programmes de télévision. Le conseil d'administration de Tele2 Europe, dans lequel siégeait entre autres Gaston Thorn, président du conseil d'administration de CLT-UFA, maison mère de... RTL, donna son feu vert en 2000. La panoplie d'activités multimédias du groupe était ainsi complétée, après les réseaux de téléphonie mobile et fixe, le portail Internet (Everyday.com) et le programme radio (d'abord, deux heures, quotidiennement, sur DNR, puis via la reprise des activités de la radio locale Sunshine devenue Tango Sunshine).


Le 20 juillet 2001, le conseil de gouvernement luxembourgeois approuve la demande de concession pour un programme TV au nom d'Everyday Media, l'appellation officielle Tango TV n'étant dévoilée qu'en octobre 2001, assortie de la promesse «d'offrir aux téléspectateurs une approche innovatrice et dynamique dans les réalisations télévisées». C'est le 2 février 2002 que la lampe rouge «On air» s'allumera enfin... Pour la première fois dans l'histoire des médias au Luxembourg, RTL n'est plus toute seule sur le créneau des télévisions nationales commerciales.


En matière de gouvernance, les premières heures de Tango TV sont déjà délicates. Le directeur Edy Geiben, le seul de la bande à vraiment disposer d'une expérience en télévision, exige un minimum de professionnalisme et de préparation. Il fait appel à Steve Blame, ex-vedette de MTV, pour coacher sa jeune équipe. Mais les deux hommes ont des visions radicalement opposées, le second estimant que c'est dans le live que l'on apprend le mieux le métier. Un discours qui séduit, alors, MM. Bintz et Koster. Edy Geiben est donc remercié juste avant le lancement des programmes... mais il est bien vite rappelé, dès le mois de juillet, devant la médiocrité du résultat à l'antenne.


Dans ses bagages, le «nouveau» directeur apporte aussi de nouvelles idées. «Le problème de la cible de Tango TV est qu'elle était trop jeune, donc au pouvoir d'achat limité, pour vraiment intéresser les annonceurs», se souvient M. Geiben. «Il a donc fallu viser un peu plus haut. Mais à l'époque, déjà, les rumeurs de disparition de la chaîne étaient permanentes et il nous était impossible de débaucher un journaliste de RTL. Puisque nous n'avions ni le personnel ni les capacités, nous avons produit des émissions sur des formats courts de six ou douze minutes. Nous avions trois heures de direct par jour, rediffusées».


Avec un budget annuel de l'ordre de 1,5 million d'euros, la chaîne assure des rentrées d'environ un million d'euros. Les espaces publicitaires sont cinq fois moins chers que sur RTL et la sauce commence à prendre, doucement mais sûrement. Mais le 19 août 2002, Jan Stenbeck disparaît brutalement, terrassé par une crise cardiaque, et avec lui toutes ses idées de visionnaires, lesquelles n'auront pas été transmises dans les gênes de sa fille, Cristina. «Il y eut alors comme une chasse aux sorcières d'engagée», témoigne Edy Geiben. «Ce fut un tournant décisif, car après lui, plus personne n'y a cru», renchérit Jean-Claude Bintz, lui-même parti en juin 2003 pour se lancer dans la grande aventure Voxmobile, rapidement rejoint par Pascal Koster. «Avant même qu'il ne soit enterré, certains voulaient déjà fermer Tango TV».


Francesco D'Angelo, lui, se défend d'un quelconque changement de comportement du groupe à la suite de cet événement: «Les opérations TV ont toujours été prises en charge par un manager bien précis, avec l'aval de l'ensemble de la direction du groupe». L'idée de vendre la chaîne est pourtant déjà dans l'air et M. Bintz fut même chargé de trouver l'un ou l'autre repreneur. Il y en aura, mais Tele2 renoncera finalement une première fois à vendre.


Edy Geiben, lui, est de nouveau débarqué en avril 2004, cette fois-ci définitivement. «Je me trouvais au MIP TV à Cannes et j'ai reçu un coup de téléphone de Per Borgklint (le market area director Benelux/UK de Tele2, ndlr.) me disant que ce n'était pas la peine de revenir. La forme est regrettable, mais ce que je regrette surtout, c'est de ne pas avoir pu aller au bout d'un projet à fort potentiel». Dans la foulée, Yann Logelin (rédacteur en chef musical) et l'animatrice Natasha Ehrmann quittent aussi Tango TV et rejoignent RTL...


Arrive alors, en mai 2004, le bouillonnant Antoine Santoni (ex-responsable controlling groupe, budget et planning chez RTL Group). Avec Alex Zivoder, alors CEO de Tango/Tele2 au Luxembourg, ils affichent une parfaite sérénité dans la volonté de développer des synergies entre la chaîne et le groupe.


Changement de cap


Mais en dépit de la retransmission réussie du match de coupe Davis de tennis Luxembourg-Grande-Bretagne et de la soirée électorale du 13 juin 2004, en direct des locaux du Wort, les heures de Tango TV sont comptées. L'idée est désormais de tourner définitivement la page, rompre avec une image qui n'a pas toujours été bonne et s'assurer le soutien d'un média luxembourgeois de poids.


En matière de convergence, le potentiel et le support sont là et l'ambition de proposer une offre télévisuelle alternative reste intacte. Le 18 octobre 2004, le rideau se ferme sur Tango TV pour se rouvrir, le 2 novembre, sur T.TV. Nouveau nom, nouvelles ambitions et un attachement moins flagrant - quoique toujours réel - au groupe Tele2.


T.TV se veut une chaîne luxembourgeoise pour la Grande Région, s'adressant aussi à un public international, via tous les modes de diffusion possibles: satellite (via Astra), Internet, streaming, radio. Elle obtient du gouvernement, le 29 octobre, une retouche des termes de sa concession et devient «un programme de télévision généraliste, y compris musical, pour les jeunes».


«Ce projet de créer une seconde télévision me plaisait, témoigne Claude Nierenberger, ancien directeur financier de RTL 9, recruté par Antoine Santoni. En théorie, l'idée de faire différemment de ce que faisait RTL était facile, mais on s'est bien vite rendu compte que tout était verrouillé, y compris au niveau des régies commerciales». Le temps pressant, l'idée première d'Antoine Santoni est pourtant de s'associer avec la régie Planet Media. «Elle disposait d'un bon réseau, mais le ticket d'entrée était assez élevé et il fallait réaliser un gros chiffre d'affaires avant que T.TV puisse toucher quelque chose», témoigne M. Nierenberger.


Du coup, le contrat signé à l'automne 2004 est rapidement dénoncé, Antoine Santoni décidant de monter, au printemps 2005, la régie propre Media Tele, qui repart de zéro. Le partenariat antérieur avec Ericsson (400.000 euros par an) a expiré et la totalité du budget alloué par Tango à Tango TV a été attribuée à d'autres supports. Du reste, les liens entre Tango et T.TV se délitent clairement. «Les gens de T.T.V étaient assez mal perçus par ceux de Tango, se souvient M. Nierenberger. Il n'y avait plus vraiment de notion de groupe. Il n'y avait d'ailleurs que peu de banners de Tango sur le site Internet de T.TV». En moins d'un an, pourtant, le chiffre d'affaires enregistré dépasse le million d'euros, dont près de 70% venant de la publicité en elle-même.


Antoine Santoni, qui découvre la télévision «côté terrain», maintient alors un développement selon deux axes: la convergence et la TV Grande Région et ce, avec les moyens du bord. C'est-à-dire en l'absence d'une vraie enveloppe budgétaire «programmes», et un temps de mise en place raccourci à l'extrême . «La pression des résultats était là et il n'était pas question de prétendre à six mois de préparation, explique-t-il. Nous avons donc dû en permanence faire avec des bouts de ficelles».


Bon nombre d'émissions se basent, ainsi, sur du bénévolat (comme les chroniques du député Xavier Bettel, du journaliste Gérard Karas ou de l'avocat Stephan Le Goueff), des émissions de sports ou des échanges gracieux (Euronews, Bloomberg, Saar TV, Antenne West ou encore des clips vidéo en échange gratuit en provenance de Modern Times Group - Groupe Kinnevik - à Londres...).


Entre T.TV, Saar TV (à Sarrebruck) et Antenne West (à Trèves) est ainsi élaboré le magazine quotidien de 60 minutes Regio Aktuell, lancé fin 2005 et subventionné à hauteur de 100.000 euros par le Landesmedienanstalt sarrois. D'autres accords sont également en cours de négociation pour une émission commune avec France 3 Lorraine. «S'ouvrir de la sorte à la Grande Région était la seule alternative pour se démarquer réellement de RTL. Et le journal était fait en interne, donc sans coût additionnel», ajoute M. Santoni. Mais sans doute la qualité de ces programmes, les infos en tête, a-t-elle néanmoins pâti de ces manques de moyens.


Dans le même temps, le «petit» Everyday Media parvient à rejoindre le cercle très fermé des partenaires technologiques associés au projet européen Enthrone. Il y est alors le seul représentant luxembourgeois, aux côtés de «grands» tels que Deutsche Telekom, TDF, France Telecom ou encore Nokia. Ce projet, rattaché au 6e programme-cadre européen de R&D, vise à développer une solution intégrée de distribution de services audio-visuels, d'un bout (la production de contenu/services) à l'autre (l'utilisateur final) de la chaîne, par le biais de réseaux hétérogènes et basés sur une approche qualité de services optimale. Everyday Media sortira de ce consortium après le départ d'Antoine Santoni en 2006.


Mais en dépit de ces résultats prometteurs, les pertes cumulées atteignent déjà, fin 2004, douze millions d'euros. Six millions de plus viendront se greffer les deux années suivantes. «Ce n'est pas extraordinaire, dans l'absolu, quand on sait que pour une chaîne, émettant de surcroît par satellite, le budget minimal annuel est de cinq millions d'euros. La télévision, cela prend du temps à être rentable. Ce n'est pas de la téléphonie mobile», explique M. Santoni. Et de rappeler que la chaîne française M6, une des grandes success-stories européennes en matière de télévision, sur un marché autrement plus grand, a mis dix ans avant d'être rentable. Et encore a-t-elle bénéficié de la disparition de La Cinq...


Parallèlement à tous ses projets, T.TV revendique auprès du gouvernement un traitement un peu plus équitable vis-à-vis de RTL, estimant que le contrat de concession liant l'Etat à CLT-UFA constitue une distorsion de concurrence compte tenu des multiples subventions et facilités octroyées à la chaîne «historique». Une plainte est même sur le point d'être déposée contre RTL, Broadcasting Center Europe et le Centre National de l'Audiovisuel, auprès de la Commission européenne. Elle restera finalement au fond du tiroir. Car, dans le même temps, Antoine Santoni essaie de négocier, auprès du gouvernement, des incitants pour attirer, au Luxembourg, les installations de Versatel, au moment où il est question de son rachat par Tele2. Sans réussite non plus.


Tout feu tout flamme, le style Antoine Santoni ne laisse pas indifférent et n'est pas nécessairement toujours perçu positivement. «Il a tout pris en mains, assistant à la fois aux conseils d'administration du groupe Tele2 et voulant développer les grands projets de convergence, observe Andy Brücker, responsable technique et délégué du personnel de T.TV, un des deux - avec le réalisateur en chef Jerry Pekkala - à avoir vécu l'intégralité de l'aventure depuis 2001. C'est quelqu'un de très impulsif qui essaie souvent de convaincre son interlocuteur en haussant le ton. Cela a souvent provoqué des tensions insupportables en interne, ce dont il ne se rendait pas forcément compte. Cela dit, l'ambiance de travail pouvait aussi être extrêmement agréable, et nous rigolions bien tous ensemble».


Climat social nuageux


Cette stratégie de convergence, portée par M. Santoni, constitue, pour Tele2, un réel enjeu stratégique, au moins au commencement. D'ailleurs, le 18 mars 2005, un communiqué de presse «officiel» annonce le lancement des premiers services TV Mobile gratuits pour téléphones 3G. «Le centre de recherches basé au Luxembourg est chargé de la mise en œuvre de la stratégie de convergence», indique le texte, alors que Lars-Johan Jarnheimer, le CEO de Tele2 précise que le groupe suit avec intérêt le développement de ces services au Luxembourg pour le décliner, ensuite, sur les autres marchés où Tele2 est présent.


Ce sera le seul communiqué de presse jamais diffusé par la maison mère au sujet de «sa» chaîne de télévision luxembourgeoise (même lors du lancement de Tango TV ou du relaunch de T.TV). «Vouloir faire de la convergence en se limitant à la seule fabrication de contenu, c'est bien, mais il faut une stratégie bien établie, tempère Claude Nierenberger. Une émission de TV formatée pour un téléphone mobile a un concept de fabrication, de production et de commercialisation qui n'a rien à voir avec une émission classique». Le retard du développement de l'UMTS, mais aussi l'incapacité technique de Tele2 à facturer les services de TV mobile, auront finalement raison de ce grand projet technologique au Luxembourg.


Et T.TV dans tout ça? Les audiences, quoique modestes, suivent une courbe ascendante. «Mais elles n'ont jamais dépassé 2% de taux d'audience, dans les calculs les plus positifs, indique Lou Scheider, directeur d'IP Luxembourg, qui suit au jour le jour les audiences des chaînes de télévision émettant dans le pays. La masse critique n'a donc jamais vraiment été atteinte et les restructurations successives n'ont pas généré la confiance. Le marché de la publicité est en général très attentif à cela. Mais il est vraiment dommage que cela se termine ainsi, car le fait qu'il y ait plusieurs acteurs ayant des outils de production et des plages de diffusion peut donner un coup d'accélérateur à l'ensemble des médias».


A l'antenne, pourtant, la grille des programmes ne correspond pas toujours exactement à ce qui est annoncé dans la presse spécialisée («Des changements étaient d'ordre mineur, pour boucher des trous dus à l'actualité», se défend Antoine Santoni), mais tout le monde est sur le pont, ne ménageant pas sa peine, ni ses heures. «Nous avons voulu jouer dans toutes les catégories à la fois, au lieu de se concentrer sur une seule cible, regrette Andy Brücker. Dès que nous avions un sponsor, nous produisions, sans même réfléchir au temps qu'il fallait y consacrer ni aux coûts. Il y a eu beaucoup de décisions spontanées, improvisées. Trop de choses ont été produites chez nous et cela a rapidement chiffré dans les heures supplémentaires (certains en ont accumulé plus de 800, ndlr.). Mais nous ne pouvions pas trop en parler».


Une version que conteste formellement M. Santoni, qui indique n'avoir jamais reçu, pas plus que le bureau du personnel de Tele2, la moindre demande (écrite ou orale) concernant ce passif d'heures supplémentaires. «Ce qui est vrai, c'est que j'ai refusé de payer ces heures supplémentaires du temps de Tango TV, car cela aurait été la faillite, pure et simple», tranche-t-il. Un accord fut néanmoins trouvé avec les salariés pour faire table rase de ce passif et repartir sur des bases saines.


Mais ce point de désaccord apparent illustre une autre facette du malaise social qui a grandi en flèche au sein de la société, surtout après le départ - forcé - de certains employés. Les événements se sont alors enchaînés. Ce fut d'abord une descente de douaniers (armés) dans les locaux de T.TV, début novembre 2005, en raison d'une autorisation de commerce manquante de la régie publicitaire (une bévue administrative réglée dans les jours qui ont suivi). C'est, ensuite, au tour de l'Inspection du Travail et des Mines à s'être penchée sur des problèmes liés aux contrats types de Tele2 et à ces fameuses heures supplémentaires.


Et puis aussi, et surtout, dans la continuité de tout cela, il y eut un incroyable audit social mené par KPMG qui vit, tour à tour, au début 2006, tous les employés de T.TV défiler dans les locaux du cabinet de conseil pour évoquer leurs conditions de travail. «Je ne comprends pas comment une firme comme ça peut accepter de réaliser une telle enquête, s'interroge Claude Nierenberger, à la tête, aujourd'hui, de Relais Création, petite société de conseil en gestion. Je l'ai vécu comme une véritable inquisition. Tout le monde suspectait tout le monde et tout le monde racontait n'importe quoi. A la plupart des questions posées, ma réponse a été 'cela ne vous regarde pas'«.


Cet audit a-t-il été commandité dans le but de faire tomber Antoine Santoni? Il serait facile de le croire au vu de certaines questions le concernant directement, ou bien la société Azurfive, une structure de conseils qu'il avait créée le 4 novembre 2002, en marge de la constitution de Sportfive (société de gestion des droits sportifs, commune à Canal+, RTL Group et le groupe Jean-Claude Darmon), mais revendue dans la foulée.


Quoi qu'il en soit, la chute de la maison T.TV semble définitivement amorcée. Le 23 mars 2006, Antoine Santoni, lâché par sa hiérarchie - Per Borgklint en tête - décide de quitter ses fonctions de CEO, dans un environnement qu'il qualifie de «hautement politique». Dans la foulée, les autres principaux directeurs (financier, informatique et production), mais aussi d'autres collaborateurs, quittent la chaîne, volontairement pour la très grande majorité.


Derniers soubresauts


Pour sauter dans la brèche, Tele2 parachute le tout jeune Suédois Marcus Nylén, 32 ans, ancien managing director de l'opérateur Alpha Telecom (UK & Luxembourg) et d'Optimal Telecom en Suède. Un autre novice en matière de télévision, donc, mais animé de la volonté de continuer les activités. «L'élément important de T.TV, c'est vous!», déclare-t-il dès son arrivée, s'adressant à une partie du personnel. Certains lui reprocheront néanmoins de ne pas avoir pensé aussi au contenu de la grille...


«Il était très présent et avait de nombreuses idées, se souvient néanmoins Andy Brücker. Mais il avait en parallèle à gérer une de ses sociétés, Parlino, qui était en difficulté. Dans le même temps, il s'est marié et est finalement rentré en Suède. Nous nous imaginions qu'un nouvel espoir était né, et nous sommes de nouveau retombés de haut».


Exit Marcus Nylén, donc, et place à Yves Gordet. L'ancien directeur du provider CMD avait rejoint T.TV quelques semaines auparavant, en tant que chief operating officer, et travaillait déjà en étroite collaboration avec M. Nylén. La succession s'imposait donc d'elle-même.


Le chantier est évidemment colossal, pour faire retrouver à la chaîne un semblant de sérénité et de stabilité. Une remise à niveau progressive des équipements techniques est amorcée, car rien de majeur n'avait été fait, dans ce domaine, les années précédentes, pour des raisons d'économies. La machine se remet ainsi doucement en marche et ce début de l'année 2007 ne laisse pas nécessairement présager l'issue funeste que l'on connaît. «Nous commencions à retrouver une certaine stabilité et une certaine confiance auprès des annonceurs, confirme Andy Brücker. Il y avait de réels projets de partenariats et nous avions un feed-back réellement positif ces dernières semaines. Nous obtenions plus facilement des rendez-vous avec des gens que nous ne parvenions pas à voir auparavant, et les gens venaient davantage vers nous, spontanément».


Commercialement, pourtant, la situation va se compliquer. «Nous étions au départ cinq commerciaux et nous avions, à l'origine, un objectif annuel de 200.000 euros chacun, témoigne l'un deux. Quelques émissions, comme Fit4 Life, étaient bien vendues, mais peu de temps après le départ d'Antoine Santoni, nous avons reçu l'ordre de ne plus vendre d'espaces, mais de gérer seulement les clients existants. Cela était d'autant plus gênant qu'une partie du salaire était variable car liée aux ventes. Pourtant, nous commencions vraiment à refaire du chiffre».


Confirmée par plusieurs sources différentes (et justifiée, de source syndicale, par certains, comme une décision logique dans l'attente de l'établissement d'une nouvelle grille de programme), cette directive est pourtant niée par Francesco D'Angelo. «Aucun ordre de ce type n'a été donné. Le manque de revenus a toujours été une constante au cours des années. Les conditions de concurrence au Luxembourg et sa taille n'ont pas aidé». Pourtant, selon nos informations, les annonceurs dont les contrats publicitaires ont été annulés auraient été remboursés et certains des vendeurs seraient, aujourd'hui, en procès avec Tele2 en raison de commissions non perçues.


L'idée d'un nouveau rachat est cependant toujours dans l'air, et certaines études sont même menées pour réaliser une séparation physique des réseaux de communication en cas d'aboutissement d'une cession à un tiers. Pourtant, selon Francesco D'Angelo, «il n'y avait pas tant de repreneurs intéressés que cela. Certains présentaient un profil financier insuffisant, ou bien un manque d'expérience, ou les deux».


Cependant, au fil des semaines, certains signes avant-coureurs laissent bon nombre d'employés perplexes. En dépit d'un tarif très intéressant, l'abonnement au fil d'information de l'Agence France Presse n'est pas renouvelé en 2007. Quant à la location du répéteur sur le satellite Astra, elle aurait été négociée trimestre par trimestre et n'aurait pas été prévue d'être renouvelée au-delà du 31 mars. «Il s'agit de questions internes pour lesquelles je ne vois aucune raison de donner un commentaire», tranche M. D'Angelo.


Quoiqu'il en soit, le mercredi 14 mars 2007, les salariés de T.TV sont officiellement informés que leur chaîne cessera d'émettre deux jours plus tard. Vingt et un salariés et une quarantaine de free-lances se retrouvent, au final, sur le carreau, dindons farcis d'une banale et désastreuse cuisine interne d'ordre essentiellement financier.


A l'heure où nous clôturions cette édition, aucune décision n'était prise quant à un éventuel rachat de T.TV. «Il n'y a de toute façon plus de société à vendre, seulement des actifs. Nous n'avons pas reçu de sérieuse marque d'intérêt», explique M. D'Angelo.



(Article publié sur Paperjam)

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