En parfait obsédé textuel, Jean-Michel Gaudron décrypte l’œuvre d’Hubert-Félix Thiéfaine sous la forme d’un dictionnaire intitulé Exercice de simple éducation avec dix fois le mot paradis, indispensable aux fans du chanteur, et utile aux autres.
Voici un livre majuscule qu’il aurait fallu éditer en lettres capitales : JMG y traite de HFT en mode dico, de A à Z ! Avec Exercice de simple éducation avec dix fois le mot paradis, titre qu’il convient d’emblée d’expliquer aux béotiens en précisant que le répertoire d’Hubert-Félix Thiéfaine comporte – entre autres morceaux de bravoure – une chanson intitulée Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, Jean-Michel Gaudron s’est lancé un drôle de défi, consistant à définir tout un tas de mots, de noms, de locutions et d’expressions (850, au final) croisés dans le répertoire de celui qui se présente lui-même comme un « vieux désespoir de la chanson française ». Une gageure d’autant plus remarquable que Thiéfaine, le premier, a toujours dissuadé son public de chercher à tout saisir : « Un poème, dit-il, n’est pas fait pour être compris. Pas plus qu’une chanson, d’ailleurs… »
Cela dit, l’auteur (du dictionnaire) se garde bien de prétendre décrypter l’auteur (des chansons, « Je ne me permettrais pas », affirme JMG, très respectueux de HFT) : tout juste ambitionne-t-il de « donner quelques clés qui ouvriront des portes dont vous ne soupçonniez peut-être même pas l’existence. » Une précision lexicale qui s’apparente à une seconde nature chez cet homme de lettres qui, à 49 ans, officie depuis peu à la communication de l’agence nationale pour l’innovation et la recherche au Luxembourg, Luxinnovation, après une carrière de journaliste partagée entre deux pays et deux passions. D’abord le football, en France, comme correspondant à Metz de L’Est Républicain du temps de l’indépendance des journaux lorrains, et du quotidien sportif L’Équipe à l’époque où le FC Metz tutoyait les sommets. Ensuite l’économie, au Luxembourg, essentiellement à la tête de la rédaction de PaperJam, magazine économique, financier et remarquable du groupe Maison Moderne.
Écrivain à ses heures, Jean-Michel Gaudron vient précédemment de s’essayer à l’exercice de la fiction dans À double sens, un recueil de nouvelles paru aux éditions PG Com. Dans ce dictionnaire amoureux de Thiéfaine qui ne dit pas tout à fait son nom, il revient au souci de la précision factuelle (ce qui n’empêche pas de belles envolées malicieuses), pour mieux aborder l’œuvre. De fait, le fan paresseux de la première heure comprendra enfin – entre autres – ce que sont les caboulots dont Thiéfaine nous parle dans Mathématiques souterraines. Le même fan, comme les autres, vagues connaisseurs ou parfaits profanes, tous prendront un bain rafraîchissant de culture générale, jamais casse-pied, souvent étonnant. « Au départ, raconte Jean-Michel Gaudron, j’ai accompli ce travail pour moi. Et puis, je me suis dis que ça pouvait intéresser pas mal de monde. » Jusqu’à Thiéfaine lui-même ? L’éditeur (le Lys Bleu) prépare une rencontre entre le chanteur et l’écrivain. Ce sera surtout une première pour Thiéfaine que Gaudron, lui, a déjà vu une dizaine de fois sur scène et écouté des centaines de fois. When Jean-Michel meets Hubert-Félix…
5 entrées en hors-d’œuvre Un nom, commun ou propre, son contexte dans la chanson, le titre de celle-ci, une définition bien sentie, et le tour est joué : Exercice de simple éducation avec dix fois le mot paradis aurait pu s’intituler Thiéfaine de A à Z. C’était sans doute trop simple : rappelons que le chanteur affirme qu’un texte n’a pas nécessairement vocation à être compris. Alors, un titre… En tout cas, en voici 5 extraits pour l’exemple !
Alcaloïde – « Demain à l’aube nous partirons herboriser l’alcaloïde » (Casino/sexe et tendritude) Substance organique généralement d’origine végétale, douée de propriétés physiologiques thérapeutiques ou toxiques. Tous les alcaloïdes portent un nom que se termine en –ine (nicotine, spartéine, atropine, morphine, cocaïne, quinine, strychnine, liste non exhaustive). Ce qui ne veut pas dire que tous les noms se terminant en –ine sont des alcaloïdes (Bécassine, Krivine…liste non exhaustive).
Blenno – « Si tu veux jouer les maquisards/Va jouer plus loin j’ai ma blenno » (113e cigarette sans dormir) « Alors qu’il y a des milliers d’obsédés qui continuent chaque année à souffrir de blenno » (Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable) Appellation raccourcie de la blennorragie, maladie sexuellement transmissible qui se caractérise, pour l’homme, par une infection de la muqueuse de l’urètre. Également appelée chaude pisse, au plus grand désarroi des habitants de la ville de Blénod, en Meurthe-et-Moselle.
Gueuse – « C’est l’histoire d’un pauvre gars/Courant la gueuse dans les balluches » (Scorbut) Femme de mauvaise vie. « Courir la gueuse » signifie tout simplement fréquenter des prostituées. En plus poétique.
Loiseau (Bernard) – « Qui avait réservé une table chez Loiseau de malheur » (24 heures dans la nuit d’un faune) Grand chef cuisinier français (1951-2003), triple étoilé au Guide Michelin et noté 19/20 au Gault-Millau. Il se suicida (sept ans après la parution de la chanson) et s’envola sans laisser de lettre d’adieu.
Servan-Schreiber (Jean-Jacques) – « Les Occitans ont Fos-sur-Mer/et les Lorrains Servan Schreiber » (La cancoillotte) Journaliste, essayiste et homme politique français (1924-2006), créateur du journal L’Express. Sa carrière politique le mena en Lorraine, où il fut élu deux fois député de la circonscription de Nancy-Nord.
(photo © Yann Ohran)
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