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  • JMG

Absences


Rien ne laissait présager une telle issue. Tout se passait normalement. Bien. Trop bien peut-être? Cela aurait dû susciter un tant soit peu de méfiance, jamais exagérée en de semblables circonstances. Mais non. Rien. Comme si l’impensable n’était pas en mesure d’arriver. Et pourtant…


Pas moyen de me rappeler comment, ni à quel moment précis, un doute a soudainement fait son apparition dans le décor. Invité-surprise, indésirable. Du genre le 13e à table, mais pas du style à faire une véritable Cène en public. Plutôt en mode incrust’, descente frénétique sur tous les petits fours du buffet et sur les coupettes de bon champagne posées sur les plateaux…


Tout avait pourtant bien commencé, quand j’y repense. La journée s’était déroulée normalement. Le printemps avait petit à petit pris ses aises, renvoyant l’hiver en hibernation, et le fond de l’air était agréablement doux. Le soleil avait joué à cache-cache avec quelques stratus et cumulus cotonneux, mais il était relativement facilement parvenu à inonder le paysage de sa chaleur et de ses rayons.


Une légère brise glissait le long de la peau et venait effleurer les tables. Elle faisait se pencher les brins d’herbe haute, tourner les pages des livres, voler les pétales tombés des bouquets, virevolter les miettes… Mais elle était encore trop sage pour envisager de soulever les jupes des filles, comme dans la chanson de Souchon.


Le temps suivait son cours. En toute quiétude. Les gens d’ici savaient le prendre et ne pas le laisser repartir. Pour cela, ils n’avaient même pas besoin de l’attacher ou de l’enfermer. Il était totalement consentant et se sentait si bien en leur compagnie qu’il ne voyait aucune raison d’aller voir ailleurs s’il y était aussi. La porte lui était toujours ouverte.


Alors pourquoi? Comment? Pourquoi diable ce doute est-il apparu? Une intuition, sans doute. Un pressentiment, sûrement. D’abord infime, insignifiant, presque impalpable. Un pressentiment du genre de celui auquel on ne prête pas vraiment attention, pas plus qu’on y donne de l’importance. Ce genre-là est pourtant particulièrement pernicieux. L’air de rien, il s’immisce et prend ses aises. Et lorsqu’on finit par se rendre compte de sa présence, il est déjà trop tard. L’insignifiant se transforme alors progressivement en concret. L’incertitude devient perplexité, puis angoisse si on n’y fait pas attention.


Un doute? Une interrogation, plus précisément. Une question sans réponse. Mais où diable étaient-elles passées? Quelqu’un les avait-il vues par ici? Moi pas. Et visiblement, tous ceux qui m’entouraient non plus. Un rapide tour coup d’œil périphérique m’avait en effet permis de bien vite répondre par la négative… Et c’était aussi surprenant que troublant, même si dans la vie, rien n’est jamais troublant, ni trou noir.


Elles étaient pourtant invitées, comme elles l’avaient toujours été. Fidèles parmi les fidèles, très polies et respectueuses, jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une tête qui dépasse: elles étaient les hôtesses idéales. Et je n’étais pas le seul à le penser. Leur réputation avait rapidement fait le tour du quartier – voire au-delà, même – et tout le monde voulait les avoir à ses côtés, à un moment ou un autre.


Je les connais d’aussi loin que remontent mes souvenirs. C’est dire si leur présence constitue, pour moi, comme une évidence. Au point de ne plus vraiment leur prêter attention lorsqu’elles étaient là. Du coup – clin d’œil aux «ducouphobes», qui sont de plus en plus nombreux ici-bas, je le sais – leur absence ne pouvait que se remarquer. Forcément.


Comment pourrais-je parler d’elles en trois coups de stylo? En toute simplicité? À leur image? Pourquoi ne pas, par exemple, faire référence à l’Évangile de Saint-Jean, plus précisément à son prologue, bien moins palpitant, soit dit en passant, que ceux qui, en leur temps, marquèrent le début du Tour de France cycliste? Il y est écrit qu’«au commencement était le verbe». Et peu importe le mode de conjugaison. Au présent, en mode Carpe Diem, au passé, composé ou décomposé ou bien encore au futur, antérieur ou postérieur, elles avaient traversé les années sans jamais déranger personne. Toujours les bienvenues où qu’elles aillent.


Je m’étais toujours bien senti avec elles. Elles m’avaient même souvent aidé, lorsque j’étais en difficulté, me permettant de m’en sortir la tête haute. Il était normal que j’eusse en permanence le souci de leur rendre la pareille.


Alors forcément, le fait de ne plus les voir, là, à cet instant présent, auprès de moi, ne me laisse pas indifférent, tant s’en faut. Mais j’ai beau regarder dans tous les sens, de haut en bas et de droite à gauche, je ne les vois pas. C'était comme si elles avaient pris un malin plaisir à me fuir. À m’éviter. Sans que j’en comprenne la raison.


Non, rien à faire. Les lettres z sont définitivement absentes de ce texte.



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